Pour un rap qui nous pousse vers le haut et défend avec détermination notre dignité
Banlieusard est une œuvre consciente qui va bien au-delà de la population Afro : « Arabes et Noirs pour la plupart et pour mes Babtous ». Un rap puissant et limpide. Je vous propose une étude de texte d’un paragraphe qui constitue à mes yeux une véritable pépite en terme de prise de conscience.
« Regarde moi, Je suis Noir et Fier de l’être » : souligne le fait que nous devons porter sur nous même un regard positif. C’est également un clin d’œil au mythique « Say it loud » de James Brown. Notons que le public de Kery james est composé d’abord de personnes d’origines africaines. Si ce passage est si saisissant c’est parce qu’il sonne dans les esprits de la manière suivante : « Regarde toi, tu es Noir soit fière de l’être ! ». Un coup franc aux complexes d’infériorité qui ont du mal à disparaitre. Encore trop de Noirs expriment un certain « dégout » ou « rejet » pour les cheveux crépus, les peaux et les yeux très sombres. Cela se manifeste de façon évidente dans les produits cosmétiques destinés aux populations nègres.
« Je connais la langue de Molière, j’en maitrise les lettres » : Là encore il s’agit d’un coup porté à des complexes d’infériorité. Complexes non pas basés sur notre physique mais sur nos capacités. Il est important que nous ayons une vision claire de nos compétences, une vision claire de nos savoir-faire, une vision claire de notre potentiel. Important que nous soyons pleinement conscients que ces qualités que nous possédons ont de la valeur et que les autres doivent reconnaitre absolument cette valeur en nous. Concrètement cela signifie que nous devons arrêter de croire que nous ne sommes pas à la hauteur alors qu’en réalité nous avons toutes les connaissances et aptitudes nécessaires pour faire ce qu’on attend de nous. Nous devons croire en nous-même et être pleinement convaincu de nos capacités. Une fois cette étape franchie, nous devons aller au-delà et revendiquer notre valeur chaque fois que celle-ci est remise en cause par d’autres. Lorsque, par exemple, on nous propose des missions qui ne sont pas à la hauteur de notre formation ou du poste que nous occupons. Refuser d’accepter une situation qui porte atteinte aux compétences et savoir-faire acquis à grand prix et dont nous sommes pleinement convaincus de l’utilité et de la valeur.
« Français parce que la France a colonisé mes ancêtres».
La première partie de cette phrase renvoie à la question complexe de notre identité. Voici une anecdote qui va nous aider à prendre la mesure de ce qui est dit ici. Un de mes cousins Noir et originaire des Antilles fut récemment vexé de ce qu’un collègue blanc lui ait demandé sa nationalité. Il se trouve que ce collègue se sentait naturellement Français, bien que ces deux parents soient nés hors de France. Ce cousin me dit dans un accès de colère : « C’est injuste qu’on nous pose systématiquement cette question parce que nous sommes Noirs alors que nous, Antillais, nous avons toujours été Français ! ». Ce que Kery James exprime ici c’est d’abord qu’il est conscient que ses ancêtres n’étaient pas Français, que ces ancêtres ont subi la colonisation, et que c’est du fait de cet épisode historiques dont ils ont été les victimes qu’ils ont fini par être rattaché à la communauté nationale.
« mais mon esprit est libre » : « Mais » exprime l’opposition entre « esprit libre » et « colonisé ». En effet la domination imposée par les puissances coloniales sur les populations autochtones ou importées n’étaient pas simplement physiques elle était aussi psychologique. L’objectif étant de faciliter la domination de ces populations non blanches en leur faisant intérioriser un certain nombre de complexes et de préjugés les prédisposant à accepter et reproduire des situations inégalitaires et injustes. Un Noir réellement conscient est une personne qui a su se détacher de ces croyances toxiques gravées dans l’esprit de ces ancêtres afin d’agir aujourd’hui comme un individu totalement libre.
« Et mon Afrique n’a aucune dette » : la dette à laquelle fait référence Kery james a plusieurs dimensions.
Tout d’abord une dimension financière. Le développement de la dette des pays africains est éminemment scandaleux. A priori, l’endettement en permettant les investissements devrait contribuer au développement des États. Mais les conditions auxquels ont été attribués ces emprunts sont totalement inacceptables que ce soit en termes de contrôle qu’en termes de taux d’intérêts. Ainsi le budget de nombreux États africains au lieu de se concentrer sur l’éducation, les dépenses sociales, ou les investissements économiques sont fagocités par le remboursement de la dette. Cela semble d’autant plus injuste que le capital emprunté a déjà été remboursée deux à trois fois pour certains pays.
Cette phrase est également une attaque frontale à l’idée selon laquelle la colonisation a été un mal nécessaire. Nombreux sont ceux qui croient encore aujourd’hui aux effets positifs de la colonisation. Nombreux sont ceux qui croient que la colonisation a permis « d’élever » les peuples colonisés, de les libérer de l’obscurantisme dans lequel ils étaient plongés et de les faire accéder à la science, aux valeurs de la démocratie, de la république, ou du christianisme. Dans « Discours sur le colonialisme », Aimé Césaire montre de façon magistrale comment cette idée est à la fois fausse et toxique. Il n’y a rien de positif dans la colonisation. Elle se traduit par une déshumanisation à la fois du colonisé et du colonisateur. L’Afrique n’a donc aucune dette « morale » dont elle serait redevable aux autres populations du monde et notamment aux occidentaux.
Je vous propose de visionner le clip et de Kery James en prêtant toute votre attention aux paroles de cette œuvre tout simplement magistrale.