Pour une compréhension des croyances qui sous-tendent notre sentiment identitaire
Dans l’article « Je suis Noir mais je ne suis pas d’origine africaine » nous avons vu que le rejet de certains Noirs pour leurs origines africaines est irrecevable scientifiquement et historiquement. Nous avons également vu que beaucoup de Noirs de la diaspora n’ont pas le sentiment d’être africains, et que, plutôt que d’admettre leur origine africaine, ils ont tendance à s’accrocher bec et ongles à des contrevérités flagrantes.
Il aurait été tellement plus légitime de reconnaître cette origine africaine et d’expliquer pourquoi cette origine n’a pas de place dans leur sentiment identitaire. C’est sur cette attitude troublante que je vous propose de réfléchir maintenant.
Cette démarche de négation apparemment irrationnelle d’une partie de ses origines n’est pas anodine. Elle permet, il me semble, à ces Noirs de maintenir artificiellement une cohérence entre ce qu’ils croient savoir et leur sentiment d’appartenance à une communauté. S’ils ne sont pas d’origine africaine, comme ils le prétendent, alors il est tout à fait normal qu’ils ne se sentent pas africain. La discussion est close. Par contre à partir du moment où ils reconnaissent leur origine africaine, c’est leur identité qui est remise en cause. Leur sentiment identitaire où l’Afrique n’a pas sa place apparaît comme douteux, difficile à justifier.
Je crois que nous venons de pointer du doigt le véritable problème, les gens se croient obligé de rendre compte de leur sentiment d’appartenance à une communauté. Un sentiment est quelque chose de personnel et d’intime. Il n’est ni juste ni faux. Il n’a pas besoin de se justifier. Il peut tout au plus être partagé ou pas. Je peux très bien être d’origine africaine et ne pas me sentir africain ça n’a rien n’à voir. Nous n’avons pas, je crois à porter de jugements là-dessus. Ce qui est intéressant par contre, c’est d’analyser sur quelles bases ces sentiments d’appartenance à une communauté se construisent.
Personnellement lorsque je fais référence à mon identité, je fais d’abord référence à ce qui en moi est le plus stable, à ce qui en moi ne change pas, à ce qui en moi reste identique à travers le temps. C’est pourquoi je considère que mon appartenance ethnique ou le fait que je sois un être masculin décrit plus fortement mon identité que ma nationalité ou ma culture. Lorsque je me pense Homme Noir avant d’être Homme antillais, c’est à ce principe que je fais référence.
Les Noirs qui disent ne pas avoir d’origine africaine, ont une vision tout autre de la notion d’identité. Ils considèrent que l’être humain est par essence un être culturel, et que l’identité culturelle est un aspect primordial de l’identité humaine. Les Antilles se situent géographiquement sur le continent Américain. Le métissage culturel résultant des différentes « migrations » intervenues au sein de la Caraïbes à aboutit à des cultures différentes et autonomes par rapport à celles existantes sur le continent africain. Cette vision a du sens, même si elle occulte le fait que les cultures antillaises ont partiellement elles aussi des origines africaines : le Ka, le Bélé, le vodou notamment sont directement issues de traditions africaines.
Je suis Noir né à Paris. Mes parents sont nés en Guadeloupe et sont venus vivre en métropole. Mes grands-parents et beaucoup de mes ancêtres sont nés et ont passés toute leur existence aux Antilles. En remontant le temps, je retrouverai parmi mes ancêtres des africains déportés lors de la traite négrière. En remontant encore d’avantage je trouverai parmi mes ancêtres des africains qui sont nés et ont passé toutes leur vie en Afrique. Ces grands traits généalogiques, je les partage ne serait-ce que partiellement (du fait du métissage), avec tous les antillais qui, comme moi, sont Noirs. Lorsque tu me dis que tu es d’origine antillaise, ce sentiment je le partage. Lorsque tu me dis que tu ne te sens pas d’origine africaine, ce rejet m’est étranger. J’ai envers tous mes ancêtres un sentiment égal de reconnaissance et de gratitude. Je me sens solidaire de chacun d’eux sans même les connaitre. Pour ainsi dire je ne fais pas de différence entre eux et moi car je me pense comme leur prolongement à travers le temps. Je suis donc à mes yeux, à la fois africain et antillais.
Chez les Noirs qui ne se pensent pas africain, le sentiment de ce que recouvre le Moi est beaucoup moins étendu. Le « Je » dont ils parlent lorsqu’ils disent je ne suis pas africain, c’est un « Je » individuel qui apparaît au moment de leur naissance et qui disparaît au moment de leur mort. Les origines auxquelles ils font référence lorsqu’ils disent « je ne suis pas d’origine africaine » se limitent à nombre restreint de générations. Ce qu’ils expriment c’est que, ni eux, ni leurs parents, ne sont nés en Afrique, qu’ils n’y ont jamais mis les pieds, que leur expérience de l’Afrique est quasi nulle, et qu’il n’y a par conséquent aucune raison de les associer systématiquement au continent Noir.
Voici en ce qui me concerne l’identité que je porte et que je défends : Je suis un « Afro-caribéen » de nationalité française, je suis un africain de la caraïbe.